Le Seigneur Prisonnier
ou
The Beast Master
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Chapitre 1
La Cité-prison d'Isgurdian
Isgurdian, la terrible, comme certains osent le murmurer, Isgurdian l'époustouflante. Ses tourelles brillantes, tellement hautes qu'elles perceraient la voûte céleste, ses maisons éparses emmêlées à travers les chemins tortueux. Et aussi ses morts et ses vivants perdant leur sang qui s'écoule comme un fleuve écarlate à travers le sillon du caniveau, bercés par la mélodie des grincements des outils et des hurlements des gardes. Même moi, j'eus quelques palpitations en voyant ses murs d'enceintes, hautes de plus de 100 mètres, lissent et lumineux comme de la glace. Mon admiration pour ce qui allait être ma nouvelle demeure était réelle, et ma hâte se sentait grandis devant tant d'ingéniosité. Les rues, volontairement sombres et étroites, n'étaient jamais surveillées, permettant à chacun d'assassiner sans gêne son voisin. Une vie mêlée de travaux exténuants et de luttes pour sa propre survie, ne laissant jamais un moment de répit au détenu infortuné, rendait la tâche plus facile à L'Empire, désireux d'exterminer tous ses gêneurs. Isgurdian, la prison aux allures de ville, véritable terrain de chasse d'ombre et de lumière. Il est sûr que si c'était à recommencer, je le referais, pour mon plus grand plaisir
Je ne savais où aller. Malgré mon intelligence
et mon sens d'orientation développé, le premier jour fut plus
oumoins déroutant. La première chose qui m'agaçait était
la confiscation de mon Destin, cet ouvrage qui contenait mes pouvoirs et qui
ne m'avait plus quitté depuis mon enfance. Mon menton désormais
nu me semblait trop léger. L'autre chose qui m'irritait au plus haut
point était ces imbéciles qui osaient me donner des ordres afin
que je travaille, 10 pièces forgées par jour et par personne
si j'ai bien entendu. Les gardes ne portaient qu'une simple épée,
mais pourtant les vétérans ne semblaient jamais offusqués
d'un coup ou d'une insulte, se contentant d'un regard noir. Ces prisonniers
où brillait l'expérience dans leur regard, certains constitués
d'un physique presque impressionnant, étaient très prudents
dans chacun de leur geste. Je n'avais crainte d'aucune surprise, mais je préférais
travailler silencieusement afin de me démarquer de ces jeunes sans
cervelles, qui n'arrivent pas à concevoir l'idiotie de leurs actes.
Une idée me traversa très rapidement l'esprit. Cette microsociété
était régie par les mêmes règles extérieures.
Il me suffisait de grimper dans les échelons avec minutie pour enfin
profiter des véritables plaisirs de ces lieux. Trouver la tête
supérieure ne devrait pas être difficile, et la prendre encore
moins. C'est ainsi qu'en quelques jours, certains se rallièrent à
ma cause, reconnaissant mon autorité absolue. Mon charisme était
utile même dans ces demeures pauvres et décharnées. Je
me rendis compte que finalement ces cinq années allaient pouvoir être
considérées comme des vacances, si je continuais dans mon élan.
Si ma situation de nouveau venue me désignait comme sans droits, les
castes plus élevées avaient quelques privilèges, et même
au plus haut il n'était plus nécessaire de travailler, vos sous-fifres
faisant votre part du travail. Je fus d'ailleurs plusieurs fois dérangées
par quelques personnes, ayant la prétention de me demander de travailler
sous leurs ordres en échange de leur protection. Je leur fis comprendre
que je n'avais besoin d'aucune aide de leur part. Suite à ses rapides
accidents, je fis la connaissance d'un jeune homme fort utile. Il connaissait
tout ce qu'il y avait à savoir dans la cité, les lieux intéressants,
les prisonniers supérieurs, les cibles intéressantes potentielles.
" Pourquoi veux-tu travailler pour moi ? lui avais-je demandé.
-Je sais qui servir, mon seigneur ! Et je vous connais. Vous êtes très
célèbre et la rumeur de votre condamnation est parvenue par
delà les murs, jusqu'à mon oreille. Je sais que vous avez besoin
d'informations.
-Je n'ai besoin de personne.
-Vraiment ? J'ai toujours été un grand admirateur de vos méthodes.
Mais vous allez forcément avoir besoin d'informations sur les personnes
importantes de notre grande et belle cité, n'est-ce pas ?
-Les flatteries ne me font rien, répondis-je, un sourire au coin des
lèvres.
Son regard brillant et son sourire malicieux m'amusaient. Les cheveux noirs
en batailles, les yeux bruns, la peau légèrement mate, tellement
petit qu'il m'arrivait au torse, il n'avait pas 20ans. Pourtant, sa répartie
m'intéressa. Il avait l'air de ne plus être un enfant depuis
longtemps, et son regard assuré n'avait pas peur de la mort.
-Et bien, essayez mes services pendant un délais, et si je ne mérite
pas vos ordres, faites de moi ce que vous voudrez.
-Tu es bien sûr de toi, marmonnai-je
-Je sais ce que je vaux, et je connais vos préférences. Vous
ne voulez que le meilleur. Je sais même que ceux qui vous suivent ne
vous arrivent pas à la cheville. Vous n'avez que faire des personnes
inutiles. Vous devriez vous débarrasser d'eux, je pourrais trouver
des personnes de bien plus grande valeur.
-Vraiment ? Répondis-je en riant.
Ses yeux s'illuminèrent et il acquiesça.
-Et toi, es-tu de valeur ?
-J'ai au moins la valeur de vous faire rire, n'est-ce pas ?
-Rire ? Amuser tout au plus.
Je le regardai en esquissant un sourire.
-Je me nomme Tyrias. Je vous le dis car jamais vous ne me l'auriez demandé.
-Tu te trompes. J'aime savoir le nom des personnes sous mes ordres.
Son visage s'éclaira d'un large sourire satisfait.
-Vous ne le regretterez pas, Seigneur Xant ! "
C'est ainsi que j'eus le droit à la narration de tous
les aléas d'Isgurdian. Tyrias prenait toujours garde de ne jamais m'ennuyer
et allait toujours à l'essentiel, attention qui me convint tout à
fait. Alors que je me démêlais avec le groupe de serviteurs que
je m'étais constitué, il allait et venait dans les rues sombres,
évitant les guets-apens avec l'agilité d'un singe. Cela faisait
longtemps que je voulais un il mobile sur toute la cité, et cette
petite bête faisait très bien son travail. Pourtant, il insistait
toujours pour renvoyer mon groupe, et je ne le contredisais pas quand il parlait
de membres plus utiles. Mais je voulais à tout prix éviter la
besogne de la forge, et ils me servaient au moins à ça, même
si je devais chaque jour compléter leur travail.
" Seigneur Xant ! J'ai trouvé des choses bien utiles ! Savez-vous,
les personnes dont je vous avais parlé ?
-Et bien ?
-Je me suis renseigné. Comme je le pensais, les trois clans majeurs
sont tous enfouis dans les souterrains de la cité. Une bonne raison
à mon ancienne ignorance de l'emplacement de leurs demeures
Les
souterrains sont un véritable labyrinthe où même les gardes
ne s'y aventurent pas.
-Pourquoi ne m'en as-tu pas parlé plus tôt ?
Son visage blêmit quand il comprit son erreur.
-Il me semblait plus intéressant de s'occuper d'abord de la surface
-Te sembler ? Arrête de faire semblant de réfléchir, Tyrias,
et dis moi tout ce qui pourrait être intéressant !
-C'est que
-C'en est assez !
Mon humeur, qui était légère quelques minutes plus tôt,
était devenue exécrable. Un royaume inconnu apparaissait devant
mes yeux, un royaume où demeurait le véritable roi de cette
prison, et je n'y avais pas encore mis le pied. Ainsi, les personnes à
qui je m'apprêtais à abréger leur condamnation n'étaient
finalement pas d'une grande importance. Comme je déteste perdre mon
temps pour des balivernes ! A quoi bon gratter une croûte friable sans
allez au cur du problème ? Je soupirai, las. Tyrias me regardait
avec de grands yeux, non pas apeuré mais sincèrement honteux.
Aussi, je n'avais que faire de sa sincérité.
" Répare ton erreur. "
Il me salua et s'éclipsa. Certains auraient pu croire qu'il allait
prendre la fuite, mais je le connaissais assez pour le savoir ingénieux
et immanquablement doué. Je fronçais les sourcils, un peu surpris
de lui faire confiance.
Chapitre 2
Le Royaume Souterrain
Notre chère cité n'est pas seulement hautement
élevée, mais a aussi ses propres racines. Des racines où
grouille le mal dans toutes ses formes, où même les esprits les
plus calmes pourrissent d'une haine et d'une violence incontrôlables.
Quelques galeries atteignent les deux kilomètres, traversant totalement
la largeur de la ville. Je fus étonné aussi d'y voir des femmes
s'y promener sans aucune crainte. Normalement, les femmes sont incarcérées
de l'autre côté d'un des murs, mais il faut croire que les étroits
goulots desservent à tous les endroits de la prison. Les souterrains
sont divisés en différents quartiers, certains inaccessibles
depuis longtemps par des éboulements, d'autres dangereux et inhabitables
à cause de créatures mystérieuses. Mais ceux qui sont
habités ne possèdent pas de grandes différences aux habitats
de la surface, ressemblant même encore plus à une prison. L'atmosphère
est lourde, suffocante à certains endroits, l'espace confiné
et réduit, la lumière naturelle inexistante.
Tyrias avait trouvé un morceau de quartier déserté après
une probable bataille. L'odeur y était encore nauséabonde et
il fallut évacuer les cadavres des anciens habitants, mais les restes
décharnés et leur état de décomposition n'était
plus un risque à notre santé. Notre nouvelle demeure était
agréable bien que d'un confort restreint. Le silence nous donnait l'illusion
d'une certaine intimité.
Je regardais le crâne laissé comme exemple par un de mes hommes
avec nonchalance, réfléchissant à mes premières
exactions. Je leur permettais ces quelques libertés, bien que puérils
mais divertissantes. Ils étaient huit, sans compter Tyrias. Ce dernier,
d'ailleurs, avait repris sa place au sein de mon esprit comme le meilleur
_le seul_ de mes comparses. Sa maladresse ayant été rapidement
réparée, je ne lui teins pas plus longtemps rigueur, satisfait
de ses matérielles excuses. C'est avec satisfaction que je donnai une
réunion dans le bâtiment principal. Autour de la table aménagée,
trois hommes étaient déjà accoudés. Kalvin, Paye
et Sofien étaient leurs noms. Les autres de ma troupe était
encore occupé à la forge et travaillaient pour tous les autres.
Tyrias était aussi présent, presque impatient, les yeux pétillant
d'une joie inconnue.
" Seigneur Xant ! s'écria-t-il d'un air innocent.
-Arrête de faire cette tête
soupirai-je.
Il sourit de plus belle. Les autres le regardèrent d'un air noir mais
n'osèrent aucunes paroles.
-Commençons, continuai-je.
Tyrias s'empressa d'étaler sur la table différents écrits.
Je me demandai d'où il pouvait les tenir, puis je redressai la tête
vers les autres. J'étais ennuyé de ne pouvoir m'occuper de mes
victimes seul, mais contrairement à l'extérieur de la prison,
l'endroit restreint et les dangers incessants ne permettaient pas souvent
de rester seul. Et si je voulais faire tranquillement mon travail, je voulais
avant tout ne pas être dérangé. Pourquoi ? Tout simplement
que je n'aime pas cela. Un caprice qui m'obligeait à faire quelques
concessions.
-Notre cible doit être avant tout célèbre afin d'intimider
tous les prisonniers, même les plus hauts placés. Les solitaires
sont souvent les plus connus
présenta Tyrias.
-Tu veux dire que s'attaquer à un clan ne serait pas judicieux ? le
coupai-je.
-Je veux dire
Il avala sa salive. Je veux dire que l'intimidation est
la plus grande des armes. Tuer tout de suite les chefs des clans n'aurait
pas assez d'impact. Quand ils mangeront dans votre main, vous serez le seul
maître de leur vie et de leur mort. Il faut mater l'animal avant de
l'abattre. "
Je fis un petit sourire satisfait. Mon espion avait tout l'air de prendre
sa mission au sérieux et apprenait vite. Sa façon de tourner
les choses m'était agréable mais je le soupçonnais surtout
d'une trop vive prudence. Je ne le contredis pas, prêt à m'amuser
un peu. Mon humeur était bonne, et j'étais prêt à
tout entendre. Les autres nous regardaient d'un air interdit.
" Son nom est Darith. Il est toujours accompagné de ses quatre
amis. Ils traînent aussi souvent avec deux autres personnes. Si vous
voulez mon avis, Seigneur Xant, si nous les supprimons tous d'un coup, le
respect et la peur de chacun est à notre portée.
-Tu sais bien que je n'ai que faire de l'avis de chacun.
Il me regarda d'un sourire complice.
-Votre ascension est sûre de surprendre plus d'uns !
-Et la tienne aussi
Il continua à me regarder, le sourire immobile.
-Je vois
continuai-je. Et bien pourquoi pas. Cela ne me semble pas une
si mauvaise idée que ça.
-Mais les deux derniers ne seraient pas à l'écart du reste du
groupe ? osa Sofien.
-Si c'est le cas, je conte sur vous pour vous en occuper, n'est-ce pas Tyrias
?
Il fit la grimace. S'il était un bon informateur, il se savait piètre
combattant, et il n'aimait guère les démêlées trop
sanglantes. Je le regardai avec attention et ris de son air réprobateur.
C'était tout ce que je pouvais faire pour le gratifier de ses services,
ça et fermer les yeux sur son absence lors du combat. Je ne désirais
pas perdre cette tête précieuse. Il pinça les lèvres
et son visage redevint plus sérieux.
-Ils se trouvent au quatrième quartier Nord. Les deux autres sont,
paraît-il, souvent dans une salle du premier quartier Est.
-Et qu'a-t-il de si terrifiant, ce Darith ? dis-je d'un ton ironique.
-Il est célèbre pour sa très grande force. Surhumaine
dit-on.
-Intéressant. Et
?
-Heu
Tyrias me regarda, étonné. C'est tout.
-C'est tout ? Je fronçai les sourcils. Es-tu sûr que ce n'est
pas du temps perdu ?
-Certain, Seigneur !
Il me regardait toujours d'un il étonné, me fixant comme
s'il désirait connaître mes capacités. Mais sans doutes
dépassaient-elles son imagination.
-Très bien. Ce soir même, alors. Cela ne devrait poser aucun
problème. Je conte sur vous pour les deux autres.
Je regardai les trois hommes.
-Quant à moi, je m'occupe du reste. Tyrias, je conte juste sur toi
pour ne pas être dérangé.
-Pas de problème ! Acquiesça-t-il avec enthousiasme.
Je soupirai puis m'écartai de l'assemblée, préparant
mon coup. Si jamais je n'ai eu aucune hésitation et n'aimais pas rester
des millénaires sur un acte, j'aimais préparer tout de même
un minimum mes assassinats. Il suffit de quelques minutes de réflexion
pour le perpétrer avec perfection, mais je me délecte toujours
en ce laps de temps à la pensée du meurtre suivant. Je le sais
déjà réussi, et je me satisfais de sa beauté.
Chacun de mes meurtres n'ont jamais été inutiles, et je sentais
déjà les bienfaits du prochain. Ici, tout n'était que
question de survie. Une vie de plus ou de moins, personnes ne s'en rendrait
compte, ou plutôt, l'on s'en rendrait compte mais personne ne pleurera
les victimes.
Le temps était écoulé. Déjà, les lumières
des galeries s'éteignaient, épuisées. Je sortais de mon
repère avec calme. Je ne ressentais rien, ni essoufflement, ni excitation.
Rien ne pouvait désormais m'arrêter dans mon élan. Je
croisai Tyrias, qui me regarda dans les yeux. Il semblait fébrile,
peut être pour remplacer mon manque d'adrénaline.
" Xant " murmura-t-il, comme prit d'une fièvre.
Je levai la main pour le faire taire. Il me fixa, puis s'écarta, comme
prit de folie, et disparut dans les sombres couloirs. Je souris, ravie. Ce
petit aurait pu être mon élève s'il avait sut se battre.
Les ténèbres gardaient toujours leur emprise à travers
le labyrinthe des galeries de terre brune. J'étais arrivé à
destination sans aucune difficulté, et je scrutais les lieux pour savoir
où continuer mon chemin. Je sentais mon cur cogner d'un bruit
sourd dans ma poitrine. J'étais toujours aussi calme, mais je sentais
une vive émotion m'étreindre. Etait-ce de l'impatience ? Déjà,
j'entendais des voix résonner aux delà des boyaux tortueux.
Ils arrivaient, confiants, avançant pas à pas vers leur mort.
Je savais que mon stupide espion s'était arrangé pour les amener
à moi. A part ces lointains murmures, tout semblait être immanquablement
emprisonné dans un silence froid et macabre. Pas une bête, pas
un cri ne troublait le calme de ma concentration. Un crissement d'un pied
sur la poussière du passage, le cliquetis de mon épée
ajustée sortie d'un humble fourreau, un cri de rage. Je fonçai
avant même de voir leur visage ahuri. Le premier corps ne ralentit presque
pas l'élan de la lame, mais cette dernière s'arrêta d'un
bruit effroyable sur une paroi rocheuse. Les quatre hommes restant ne prirent
pas le temps de regarder leur compagnon s'effondrer à leurs pieds.
Leur regard emplit de haine et de rage, ils brandissaient leurs armes vers
moi. L'un d'entre eux avait un air féroce qui me fit sourire. Il dépassait
les autres d'au moins une tête. Je me redressai et les toisai du regard.
" Que veux-tu ? me demanda le géant.
-Ta tête, dis-je en souriant. Ne vois rien de personnel là dedans.
"
L'homme leva la tête, comme pour me regarder de haut. Je répondis
à son invitation en pointant mon arme vers lui. Ce combat s'annonçait
des plus intéressant. Il fonça vers moi avec le grognement d'un
ours, le poing brandis vers l'avant. Il n'avait aucune arme mais je savais
que je devais être méfiant. Les autres ne semblaient pas bouger,
restés en retrait, regardant le chef de leur meute défendre
son honneur.
Il était lent. Trop lent, tout du moins, pour pouvoir me toucher. Il
se servait de ses bras comme des masses, mais jamais il ne pouvait m'écraser
avec comme il le souhaitait. Pourtant j'éprouvai une petite difficulté
à réussir à le frapper. Il arrivait à se protéger
avec des plaques de métal attachées à ses avant bras.
D'un habile mouvement du coude, je réussis enfin à lui enfoncer
mon pommeau dans sa figure d'animal. Il s'écarta et, ne me quittant
pas du regard, s'essuya le filet de sang qui s'écoulait au coin de
ses lèvres.
" Tu vas mourir ! " Cria-t-il, furieux.
Ses amis s'élancèrent vers moi en un éclair. Des lames
fusaient en tout sens, cherchant à me tailler en pièce. L'un
d'eux fonçait vers moi, agrippé à une lance, la pointe
acérée me faisant face. Je m'éclipsai et réapparut
derrière l'un d'eux. Je ne pris pas beaucoup de temps pour me débarrasser
des deux derniers. Le géant, déjà, était à
genoux près d'un des corps, les larmes aux yeux, les mains ensanglantées.
Il regardait le cadavre de son ami avec souffrance et désespoir. Je
le laissai pleurer pendant une dizaine de secondes, puis m'avançai,
déterminé. Il se releva et sécha ses larmes du revers
de la main. Son air était calme, presque serein.
" Tu vas le payer, bâtard !! murmura-t-il.
Je le regardai d'un air neutre. Je l'observai, content de me battre contre
un adversaire de son rang. Il n'était pas comme ces bêtes en
cage qui grouillaient à travers toute la prison. Il savait pleurer
un camarade, il savait se défendre et il savait réfléchir.
Je fis un pas.
-Tu es un piètre combattant. Ta faiblesse est méprisable. "
Il sourit et se mit en garde.
Connaissez-vous ce sentiment ? Celui qui nous fait trembler le cur,
au point de croire qu'il ne pourra pas résister ? Celui qui nous essouffle,
alors que, enivré de sang, nous sentons la victoire prochaine ? Celui
qui emplit de rainures écarlates nos yeux penchés vers le regard
identique de notre adversaire ? J'aimais l'air résigné du combattant
qui savait sa fin proche, et qui allait sans peur vers l'enfer. Il avait ce
regard, il avait cet air. Mais il ne mourut pas résigné.
" Sois maudit " murmura-t-il en un râle, le sang s'écoulant
à flot de sa bouche, regardant l'épée qui lui transperçait
le ventre..
Il s'effondra en un bruit sourd Je me reculais, me tenant l'épaule.
Il avait réussit à la broyer en un simple revers, et déjà
je sentais une vive douleur me transpercer à d'autres endroits. Il
avait été véritablement un bon adversaire. Je regardai
ses larmes de frustrations s'écouler sur ses joues, son regard se perdant
sur le plafond, comme a la recherche d'une quelconque route vers le ciel.
Je me rapprochai de lui et souris d'un air moqueur.
" Je t'ai permis de m'affronter en duel, mais j'ai été
très déçu. Dépêche-toi de rejoindre tes
amis dans le monde des incapables. "
Il me regarda d'un air mauvais, puis son visage sembla se radoucir. Il s'efforça
à sourire.
" Nous y passerons tous, un jour ou l'autre. " Puis il toussa, et
sans un bruit, son regard se figea dans le mien. Je fis la moue.
-Parle pour toi. Je ne suis pas près de mourir
"
Je tournai le dos et m'écartai des corps, m'éloignant du lieu
de bataille. Mon travail était terminé, et j'étais satisfait
de ce que j'y avais rencontré. Je rentrai rapidement dans mon quartier.
A un carrefour, je vis deux yeux lumineux percer la pénombre. Je les
reconnus de suite.
" Seigneur Xant ? Tout s'est bien passé ?
-A la perfection. Comme toujours
Je fis un sourire satisfait.
-Bien. Laissez-moi vous dire que le groupe n'est toujours pas rentré.
-Comment ? m'étonnai-je. Ils sont pourtant à huit contre deux.
Cela devrait être rapide, même s'ils sont mauvais.
-Sans doute sont-ils encore plus mauvais que nous le pensions
Je soupirai d'un air las.
-Il faut toujours quelques uns pour gâcher ma joie. Et bien allons les
chercher.
-Maintenant ?
-Je n'ai que ça à faire
"
Je me dirigeai rapidement vers le quartier Est, accompagné de Tyrias.
Nous trouvâmes rapidement la pièce indiquée comme étant
le repère des deux derniers. Je mis l'oreille sur la porte afin d'entendre
quelque chose, mais rien ne semblait troubler le calme de l'endroit. Pourtant,
à force de concentration, je perçus de petits couinements, comme
ceux de rongeurs. Fronçant les sourcils, j'ouvris brusquement la porte.
Chapitre 3
Les Jumeaux
Même moi je ne pus être insensible au macabre tableau qui se
dessinait devant moi. L'atmosphère était chargée de je
ne sais quoi d'électrique, comme si la folie était devenue maîtresse
de ces lieux. Le sang éclairait la pièce d'une lueur rougeâtre
et inondait le sol. Dans les flaques s'esquissait le reflet des visages défigurés
de mes compagnons, les yeux exorbités, les lèvres entrouvertes.
Une odeur étouffante me souleva le cur et je ne pus m'empêcher
de tressaillir. Dans l'ombre, deux personnes étaient encore en vie
et se tenaient immobiles.
Ce fut la première fois que je les vis. Leurs cheveux étaient
diaphanes, arachnéens, d'un blond presque irréel, mêlés
d'éclats de lumières semblables à des milliers de paillettes
d'or, fins comme la plus pure des soies. Leur peau blanche, laiteuse comme
un rayon de lune trop éclatant, semblait aussi douce que le velours.
Leur air de statue hypnotisait, comme s'ils réussissaient à
figer le temps en une myriade d'arabesques. Elle, son regard d'ange fixé
dans le vague, se tenait droite. Elle avait agrippé avec grâce
un voile de sa robe presque transparente afin de ne pas laisser le bas baigner
dans le sang. Effort inutile, des tâches écarlates maculant son
habit et son visage. Le rouge sombre faisait ressortir l'éclat de ses
yeux. Bleus comme le ciel, ils semblaient être des miroirs où
l'imprudent pouvait s'y perdre et s'y noyer, bercé par une trop profonde
tristesse. Ses lèvres immobiles étaient attirantes, enfantines
et profondément fatales. Elle avait la splendeur, l'innocence et la
prestance d'une divine vierge et tout homme aurait voulu accourir en son palais
céleste. Lui, accroupi, me regardait, le regard baissé, un sourire
mystérieux au coin des lèvres. Son visage était aussi
fin que celui de sa sur, marqué d'une profonde élégance.
Ses longues mèches caressaient le sol, s'imbibant de rouge. Ses yeux
verts, semblables à ceux des reptiles, étreignaient l'esprit
le plus sage avec une force incroyable. A ses pieds gisait le corps inerte
de Sofien, le torse ouvert. Du sang effleurait le visage de mon compagnon,
s'égouttant à travers les doigts de l'homme. Il tenait dans
sa main, serré comme un précieux butin, le cur arraché.
Immanquablement, ils étaient jumeaux, identiques en de nombreux points
bien que de sexe différent. Leur attitude était celle de prédateurs
affamés et complexes, prêts à resserrer leurs anneaux
sur leur proie. Il bougea légèrement la tête, comme pour
indiquer qu'ils n'étaient pas de simples illusions. Sa langue passa
légèrement sur ses lèvres entrouvertes, puis il ouvrit
la main et laissa le cur tomber sur Sofien en un bruit sourd d'un air
hautain.
C'est à ce moment que je compris la différence entre les personnes
de l'extérieur, et celles enfermées dans cette sombre prison.
Ils ne sont plus des hommes, mais de véritables créatures chimériques.
Ils étaient là, me regardant fixement, souriants.
Elle avait la tête posé sur le torse de son frère, et
semblait vouloir prolonger le plus possible ce contact. Lui se nommait Anthanael,
elle, portait le nom de Zoria. A travers tous le royaume souterrain, et même
à la surface de la prison, ils étaient connus sous le nom des
" deux vipères " ou plus généralement, "
les serpents ". Leur regard froid et hypnotique, leur façon de
bouger et de se serrer l'un contre l'autre pour un oui ou pour un non devait
être la raison de ces sobriquets. Mais je sus un peu plus tard par Tyrias
que leur façon de manipuler les personnes d'une simple parole en pouvait
être la véritable source. Zoria me regarda d'un air charmeur.
Sans mentir à personne, elle me plaisait.
" Vous avez tué mes serviteurs
soupirai-je.
Anthanael posa la main sur la tête de sa sur, caressant ses longs
cheveux.
-C'est eux qui sont venus nous troubler. Ils désiraient nous attaquer.
Zoria glissa son index dans la bouche et le mordilla d'un air pensif, puis
le retira rapidement en s'effleurant les lèvres.
-Sans doute, répondis-je.
Elle pencha la tête sur le côté, s'écarta de son
frère et fit un pas vers moi. Elle n'avait pas encore ouvert la bouche,
mais déjà je savais sa voix envoûtante.
-Peut-être est-ce vous qui les avez envoyé ? murmura-t-elle.
"
Anthanael ne me regardait jamais de face, mais du coin de l'oeil, posant comme
un modèle. La pièce où ils avaient voulu me suivre sans
aucune résistance était plus large que la première et
n'avait pas l'odeur acre de la mort. J'avais pour eux une grande méfiance
et une rancur farouche. Je voulais les punir de leur affront.
" Et bien, maintenant, que faisons-nous ? demandai-je en écartant
les bras d'un air cynique.
-Faisons-nous ? répéta, un peu étonné, le frère
en regardant dans le vide.
-Et bien ! s'écria Tyrias. Votre force peut nous être utile !
Alors travaillez pour nous.
Je le regardai, étonné de son manque de tact.
-Nous voulions vous tuer, continua-t-il, en même temps que vos amis.
-Nous n'avons pas d'amis, coupa Anthanael, fixant ses ongles d'un air absent.
-Heum
Oui
Je voulais dire Darith et les autres
-Ho ! Darith ?! Et il est mort ? s'écria Zoria d'un air enthousiaste,
curieuse comme une enfant.
Tous la regardèrent pendant quelques secondes, étonnés,
puis continuèrent la discussion.
-Il fallait un exemple afin d'attirer l'attention des clans.
Le frère tourna la tête et regarda Tyrias d'un air intéressé.
-Les clans ? Je vois
Tyrias haussa un sourcil. Je les regardais s'agiter comme des insectes, voulant
intervenir, mais je me tus, désirant sans doute voir les qualités
de mon espion. Le jeune homme blond haussa le regard vers moi et hocha la
tête. Zoria s'avança vers Tyrias, se pencha vers lui et posa
la main sur ses cheveux, un large sourire illuminant son doux visage. Il répondit
par un sourire que je trouvai niais et puéril.
-Nous serions ravis de vous aider à lutter contre les clans.
Tyrias me regarda en souriant.
-Voici des membres dignes qui remplaceront facilement les huit autres.
Je me sentis las, posant ma main sur le front, cachant mes yeux. Cela tournait
véritablement au ridicule. Je laissai enfin ma vision filtrer à
travers mes doigts pour les foudroyer de mon regard. Le frère me répondit
d'un haussement de tête.
-Personnes ne pourraient être de meilleurs alliés que Zoria et
Anthanael, dit il en fronçant les sourcils.
Je fis un petit rire.
-Décidément, je serai éternellement entouré de
grands comiques.
Mon sourire devint narquois, mais il ne releva pas la remarque à ma
plus grande déception, se contentant d'un regard froid et impassible.
-Allez-vous nous tuer ? demanda Zoria d'un air boudeur.
Tyrias sourit.
-Me rejoignez-vous ? répondis-je, la fixant dans le lac limpide de
ses yeux.
-Car ombre est lumière, et pur est impur ?
Je la regardai, étonné. Anthanael se rapprocha d'elle et se
plaça à ses côtés, me faisant face.
-Allons ma sur, il n'est plus temps de jouer.
Elle soupira d'un air triste puis me regarda en souriant.
-Je serai heureuse de pouvoir vous aider par mes faibles moyens.
Le jeune homme laissa glisser son regard sur la joue de sa sur.
-Qu'il en soit ainsi.
Il leva le regard vers moi et fit un léger sourire d'un air entendu.
-Nous sommes à vos ordres.
Je rentrai rapidement dans notre sanctuaire. Tyrias, transpirant
à grosses gouttes, s'assit et serra sa tête entre ses mains.
Je le regardai de haut puis frappa violement la table pour le ramener à
la réalité. Sa réaction fut immédiate, et releva
la tête avec surprise. Je le fixai d'un air noir et fis un petit sourire
mauvais.
-Alors ?
Il replaça l'une de ses mèches d'ébènes qui tombait
devant ses yeux d'un air nerveux.
-Ils sont sincères. Mais je les soupçonne d'avoir une ou deux
cases en moins. Il vaut mieux se méfier des serpents. Par contre, ils
nous seront utiles. Très utiles. Je ne sais pas comment ils se battent,
mais ils sont très craint. Personnes n'osent les contredire, et ceux
qui ont voulu mettre fin à leurs jours ont finis comme les huit autres.
-Tu me sembles nerveux.
-Leur esprit est tellement chaotique que j'ai du mal à deviner leurs
intentions.
Je souris.
-Moi, je les devine sans aucun problème.
Les mois qui suivirent me donnèrent l'impression de s'écouler
aussi rapidement que du sable. Jamais le temps ne me parut plus volatile.
Je montais les échelons avec la facilité et la vitesse d'un
roi, meurtres après meurtres. Les jumeaux avaient réussis à
se faire accepter dans la " cour " du chef d'un des clans. Je savais
ainsi que, déjà, une des trois grandes fédérations
de la prison était sous l'emprise de ma main de fer. Mais elle n'était
pas la seule. Même les gardes venaient me manger dans la main, avec
assez de bassesses pour m'offrir le moindre de mes désirs. Je comprenais
enfin que la cité n'était qu'un vaste échiquier, un théâtre
de pantins où mes sombres jumeaux tiraient quelques ficelles selon
mes ordres. Je n'avais aucunement besoin d'avoir quelconque titre pour arriver
à mes fins. D'ailleurs, en parlant des jumeaux, je n'appris que très
peu sur leur compte. Ils m'obéissaient sans la moindre plainte, et
même accompagné du rire enjoué de Zoria. Ils étaient
toujours ensemble, inséparables. La rumeur courait qu'ils étaient
amant, bien que ma perspicacité ne me parlait aucunement d'inceste.
Je vis une fois la belle jeune femme déposer un baiser sur les lèvres
de son frère. Il était chaste et langoureux, trop passionné
pour être celui d'une sur mais trop innocent pour être celui
d'une fiancée. Je les savais tout simplement liés par un lien
invisible et primordial. Pourtant, il me venait souvent à l'esprit
de couper ce trop encombrant ruban, mais je décidai de n'employer aucun
artifice afin de la posséder. Une femme est une femme. Ses yeux de
miroirs me regardaient déjà illuminés d'étincelles,
prémices d'un feu dévorant. Rien ne pouvait arrêter ce
qui avait commencé. Personne ne pouvait plus m'arrêter dans l'élan
d'un futur forcement prodigieux.
C'était dans un tel état d'esprit que je me promenais à
travers les rues tortueuses, respirant l'air pur de la nuit. On entendait
ici et là des cris, souvent de souffrances, parfois de plaisirs, s'élevant
vers la lune en des complaintes nocturnes. Je ne faisais pas attention aux
mains implorantes essayant de m'attraper les chevilles, fruits des derniers
règlements de comptes, et m'en allait avec nonchalance. Pourtant, je
fus tiré de ma rêverie par un éclat de lumière.
La lune insouciante se jouait d'une lame se voulant invisible. Je sentis alors
la haine m'entourer, l'envie de mort, de vengeance. Une silhouette s'avança
en tremblotant, élevant une épée contre moi.
" Tu vas payer pour tes crimes ! "
Chapitre 4
Les Vérités
Le Chant des Morts
Quand le vent hurle par delà les murs
Quand le soleil même ne peut plus rien
Même plus réchauffer notre destin
Nous nous plions à ses règles impures
Brûlures intestines et langoureuses
Sourdes de nos cris et de nos prières
Elles jouent et dansent les bienheureuses !
En nous lançant des charmes mortifères.
La Vie de sa faux aime nous hanter
Sa robe blanche diaphane volant
A travers la rouge pluie de sang
Qu'elle se plait avec joie de semer
L'on crie : Nous sommes morts ! Nous sommes morts !
Et elle ricane d'un air sarcastique
Nous murmure d'une voix laconique :
" Tu vies ! C'est juste ton âme qui dort ! "
Pourquoi notre cur est-il condamné
A rester enfermé dans ces cages
Comme le plus grand des sages
Dans notre abri verrouillé ?
Le vent hurle
Le soleil brûle
Solitaire, je me meurs
D'une vie de douleur.
Tyrias
" Payer ?
Je la regardai, étonné. C'était une femme. Elle se tenait
devant moi, les jambes grelottantes mais le regard décidé.
-Vous méritez milles fois la mort ! Je vais vous
vous
-Me ?
Mes lèvres dessinèrent un léger sourire. Elle possédait
un visage et un corps très agréable. Ses courbes étaient
généreuses et merveilleusement proportionnées. Ses cheveux
lisses étaient longs et bruns, glissant jusqu'au bas de son dos. Ses
habits étaient abîmés mais étaient visiblement
entretenus, et relevaient la grâce de ses traits par les trop grandes
échancrures. Je m'avançai d'un pas brusque. Ses jambes fléchirent,
comme deux brindilles portant des poids trop lourds.
-Tu es trop belle pour que je te tue. Retourne chez toi, petite, avant que
je ne change d'avis.
Son visage était baissé, caché par des mèches
retombées vers l'avant. Elle était immobile, mais je la savais
remplie d'une haine intérieure, presque palpable, mêlée
de peur. Je m'apprêtais à partir, lui tournant le dos, quand
j'entendis son cri perçant.
-Je vais te tuer !!
Elle s'élança vers mois, l'épée au dessus de la
tête, prête à me frapper. Je me retournai rapidement et
la giflai avec violence, l'envoyant rouler un peu plus loin. Le choc brisa
la lame de piètre qualité, faisant retentir à travers
toute la cité son bruyant éclat.
-Non ! s'écria-t-elle. Ca ne peut pas finir ainsi !
Les larmes lui vinrent aux yeux, et elle se tenait la joue. Moi, je la regardai
d'un air mauvais, intérieurement amusé par tant d'ambition.
-Vous n'êtes qu'une bête ! Un monstre parmi les monstres, s'entre-tuant
pour une bouchée de pain, oubliant toute idée de justice et
de raison. Je vous hais ! Je vous déteste pour tout ce que vous êtes
! Vous avez tué mon frère
je
je le vengerais ! Je
vous tuerais, peut importe ce qu'il m'en coûtera ! Je
Elle s'arrêta, essoufflée par une trop forte émotion,
puis essaya de reprendre. Je pris la parole avant qu'elle n'y arrive.
-Bête ? Monstre ? Peut-être
Ainsi, tu es venu pour venger
ton frère ?
Je soupirai : n'en avaient-il pas assez de toutes ces histoires de familles
? Je relevai la tête et la fixai d'un air sévère.
-Tu ne connais rien de la vie, petite. Tu crois que toi, toute seule, tu pourrais
changer toute une ère d'haine et de violence? Que crois-tu, que le
monde ne tourne que pour tes jolis yeux, et qu'il te suffit de battre des
cils pour atteindre ton but ? Hey ! Réveilles toi gamine ! C'est fini
les contes de fées ! T'as pourtant atteint l'âge, dit-on, de
raison.
-Nan ! gémit-elle. Vous ne comprenez rien
-Non ! C'est toi qui ne comprends rien ! "
J'élevai la voix à cette dernière remarque d'un air mauvais.
Elle recula et se tassa, me jetant des regards effrayés. Je la regardai
pendant quelques secondes, puis soupira d'un air las. La nuit était
claire et belle, et je perdais mon temps avec une jeune idiote. Je lui tournai
le dos et partis retrouver mes occupations, la laissant s'apitoyer sur son
sort.
Un cri retentit à travers les ombres nocturnes. Je savais d'où
il venait et je pouvais supposer très rapidement qui en était
l'auteur. Pourtant, je ne désirai aucunement rebrousser chemin. Les
loups sont faits pour dévorer les agneaux, dit-on. Et les stupides
agneaux pour être dévorés.
Elle était entourée par six hommes aux regards brûlants,
emplis d'une folie destructrice. L'un d'eux l'avait attrapé par le
poignet et essayait de lui arracher le peu d'habits qui lui restait. Sans
un mot, je surgis du noir et me débarrassa du plus proche. Trop épris
par leurs actes, ils n'avaient d'abord pas fait attention au démon
qui avait frappé l'un de leur compagnon, mais le râle de la victime
les réveilla bientôt de leur transe. Ils humèrent le sang
comme des chiens sauvages reniflant un piège, et se retournèrent
vers moi. Je souris, et m'élançai
" Tu es vraiment une femme stupide, soupirai-je. "
Elle me regardait, surprise, des larmes roulant sur sa joue. Son air était
absent, et ses yeux brillaient d'une étrange lueur. Son air de chien
battu, sa main pudique qui cachait sa poitrine avec la robe en lambeaux, ses
bleus et ses contusions la rendaient encore plus fragile qu'une fleur trop
précieuse au milieu d'un désert aride. Cette fille n'avait rien
à faire ici.
"Vois-tu ? Tu sembles faire moins la maligne, petite. Si tu veux faire
bouger le monde, il faut être fort. Sinon, c'est toi qui risques de
te faire dévorer. Briser le monde ou être brisé. Où
est ta grande morale ? Où se trouve ton air choqué de sainte
nitouche ? Laisse tomber, on en a rien à faire ! Si tu veux faire quelque
chose de ta vie, tu dois devenir quelqu'un. "
Elle me regardait, hypnotisée. Je lui tendis la main d'un air détaché.
Pendant les premières secondes, elle sembla ne pas y faire attention,
puis fit de grands yeux, fixant ma main ouverte. Elle hésita, se mordit
la lèvre, avança la main puis la recula, pour enfin la faire
revenir se blottir dans la mienne.
++++++++++++++++
" Que se passes-t-il, Seigneur, me demanda Tyrias, étonné.
-Je ramène un agneau perdu.
Je la posai délicatement sur une couverture et relevai la tête
vers mon compagnon. Il avait un petit sourire complice et ses yeux brillaient
d'enthousiasme.
-Elle n'a pas l'air d'être beaucoup plus âgée que moi
murmura-t-il.
La jeune fille s'était évanouie, affaiblies par ses blessures.
-Il faut la soigner, posa Tyrias.
-Apporte de l'eau. "
Il s'exécuta rapidement. Dès son retour, je me relevai et m'écartai
d'elle.
" Occupes t'en.
Il fit un sourire presque bêta.
-Heu, oui seigneur.
Je le regardai fixement. Il déglutit et hocha la tête.
-Bien.
-Cesse un peu, Tyrias
-Bien.
Je marchai d'un air las vers l'ouverture d'un des tunnels. Avant même
de pouvoir m'y engouffrer, Tyrias m'interpella.
- Maître Xant, elle ouvre yeux !
-Et bien alors ?! grognai-je.
Je m'avançai rapidement vers notre bâtiment et pénétrai
la pièce étouffante. Elle s'était réveillé
et laissai courir son regard sur les murs d'un air affolé. Ses yeux
s'arrêtèrent sur moi et semblèrent s'apaiser.
-Quel est ton nom, demanda Tyrias d'un ton tendre.
Elle le dévisagea, puis esquissa un sourire timide.
-Enelia.
-Enelia
répéta doucement le jeune homme.
Elle leva la tête vers moi, ignorant l'air pensif de mon ami.
-Où suis-je ?
Son ton mêlait avec hésitation agressivité et reconnaissance.
Mais c'est ainsi toutes l'ingéniosité et l'ingratitude des femmes.
-Quel âge as-tu, s'empressa Tyrias.
-Heu
19ans
-Tyrias
-Oui ?
Il tourna la tête vers moi d'un air innocent.
-Laisse-la. Elle doit se reposer.
Il sourit d'un air malicieux.
-Bien, Seigneur.
Enelia se recoucha, comme assommé par une lourde fièvre, et
referma les yeux. Tyrias s'assit en face de l'unique table et sortit un papier.
Sortant une plume, outil très rare en ces murs, il commença
à griffonner sans plus faire attention à ce qui l'entourait.
Je regardai le papier qui noircissait à vue d'il, et le tirai
brusquement vers moi. Surpris, il ne riposta pas quand il vit la grande traîné
noir laissé par sa plume rayer toute la longueur de son parchemin.
-Barde ? demandai-je.
Il fit un petit rire nerveux, se grattant derrière la tête.
-Pas vraiment. Je l'ai été à une époque chez un
noble, avant d'être enfermé
Je lisais les quelques mots hésitants qui avaient été
jeté sur la feuille.
-Un noble ?
-Oui, j'écrivais pour lui
Entre autre.
-Autre quoi ?
Je levai un sourcil.
-Sal boulot, continua-t-il.
J'hochais la tête. Je comprenais mieux l'assurance flagrante qu'il avait
devant la mort.
-C'est pour ça que tu es là ?
Il regarda fixement la feuille empruntée, son esprit semblant s'oublier
dans un monde imaginaire.
-Oui, répondit-il d'un air absent.
Il redressa la tête et me fis un grand sourire.
-Mon Maître m'a vendu, me donnant tous les tords et toutes les responsabilités
de ces meurtres. Ma peine ne s'est élevée qu'à deux années
à cause de mon jeune âge.
Son sourire s'agrandit encore plus, lui barrant le visage comme une cicatrice
trop profonde. Ses yeux se fermèrent d'un air gêné.
-Ca fait quatre ans que je suis dans cette prison. Il faut croire qu'ils m'ont
oublié.
Je soupirai et regardai l'ouverture de la pièce.
-Tout se passe de la même manière. Seul les plus fort décident.
-Oui
Son regard se tourna vers le sol, profondément triste. Je le regardai
pendant quelques secondes, m'enivrant de son désir de liberté,
puis je lui rendis sa feuille.
-On y peut rien, murmura-t-il.
-Es-tu réellement stupide, ou fais-tu seulement exprès ?
Il releva la tête et me regarda d'un air ahuri, puis sourit et hocha
la tête d'un air entendu.
-Il est vrai, seigneur Xant !
Je fis la moue, intérieurement amusée par sa confiance aveugle.
-Mon frère aussi écrivait.
Sa voix avait résonné comme un bruit maladif prêt à
disparaître au moindre souffle. L'émotion et l'hésitation
étouffante retentissaient dans cette trop lourde musique. Je la regardai.
-Tient ? Te revoilà déjà ? m'étonnai-je.
-Personne ne pouvait imaginer comment un être comme lui pouvait faire
d'aussi belles chansons
continua-t-elle d'un ton morne.
-Et bien
essaya Tyrias.
-Un grand guerrier tel que lui, redouté de tous
Mort
Elle éclata en sanglot. Je soupirai, puis me leva brusquement et la
tira par les cheveux pour la lever. Elle poussa un cri strident.
-Tu vas pas arrêter un peu ? Tu vois pas que tu nous ennuis ? Et en
plus il faut que tu viennes chialer jusque chez moi ! Tu m'énerves
!
-Seigneur
Tyrias s'était levé à son tour, essayant de me calmer
sans m'approcher de trop près.
-Alors, quel était le nom de cet héro, dis-moi ?
Elle continuai à hurler, prise par de violent soubresaut de larmes.
-Tu vas me répondre oui ?! T'en as pas assez ?! Tu veux pas réfléchir
un peu ? Alors ?!
Je la secouais violement, resserrant de plus en plus mes doigts sur sa longue
chevelure.
-Darith ! C'était Darith !!
Etonné, je la lâchai. Elle s'écroula en gémissant,
se serrant la tête de ses mains fines.
-Tu es la sur de ce Darith ?
J'éclatai de rire.
-Et bien, je ne savais pas qu'il aurait put avoir une sur telle que
toi.
J'arrêtai de rire et la regardai en souriant, lui tendant la main pour
qu'elle se relève.
-Viens, je vais te soigner. "
Tyrias me regarda, profondément étonné, puis sortit de
la pièce en hochant la tête.
Chapitre 5
La guerre des Clans
Sa peau avait le goût fruité des jeunes filles,
doux et sucré. Mon appétit ne s'en trouvait que plus croissant.
Ses caresses étaient langoureuses bien que peureuses, et ses mains
s'enfuyaient sur mon corps comme un petit animal perdu. Ses lèvres
glissaient timidement sur mon torse, et elle me mordillait avec hésitation.
Alors que je la griffais, la mordais, la dévorais, elle jetait sa tête
en arrière en poussant de petits gémissements. Elle n'avait
aucune expérience en la matière et il semblait, par son regard
perdu et sa langue assoiffée, que j'en étais passé maître.
Mais de ça, personne n'en doutait.
Alors que je me distrayais dans les jeux de l'amour, une sombre affaire commençait
à se tramer. Le clan qui maintenant m'appartenait était sans
cesse sujet aux attaques des deux autres. Une personne avait sans doute remarqué
mon petit jeu et avait prévenu les plus intéressés. Nous
étions en pleine période révolutionnaire. Les trois clans
avaient toujours existé, depuis la construction de la citée,
il y a de cela 800 ans. Pourtant certaines rumeurs parlaient d'une unification
des deux clans. Un chef avait réussis à s'imposer et régnait
en maître sur ses nouveaux hommes. Cette rumeur me fut confirmée
par Tyrias, puis par les jumeaux. Plus rien ne pouvait désormais arrêter
le combat imminent qui se faisait pressentir.
Il me fallut que quelques semaines pour l'apprivoiser. Animal perdu, elle
s'étai réfugié avec empressement vers celui qui pouvait
le plus la rassurer. Sa rapide adaptation et sa force d'esprit m'étonnèrent.
Mais ce qui me surprit le plus fut son rapide trou de mémoire en ce
qui concerne la mort de son frère. Je la trouvais peu affectée,
mais je compris rapidement qu'elle avait vu en moi un double de son défunt,
une illusion destructrice qui avait pris possession de son cur et de
son corps. Mais il fallait croire que j'étais bien mieux que lui, puisqu'elle
était dans mon lit. Elle me haïssait encore, de toute son âme,
mais avait pour moi un doux penchant. Elle m'avait supplié d'arrêter,
elle avait essayé de me repousser par des gestes mous et peu convaincus,
mais bloqué par une paroi, elle n'avait pu se soustraire à mes
baisers, et s'était résolu avec un soupire d'aise. J'avais tué
le frère et je possédais la sur, nombreux seraient ceux
qui me condamneraient pour cela. Pourtant, personne à ma place n'aurait
eu de remords. Amour et haine sont les deux faces d'un voile presque transparent,
auquel une simple brise pouvait retourner.
" Qu'est-ce qu'il y a ? murmura-t-elle en se redressant sur le coude.
Je regardais sa main qui relevait pudiquement la couverture sur sa poitrine.
-Rien, soupirai-je.
Mes yeux se perdaient dans le vide, à la recherche d'une probable félicité.
La pièce était chaude, l'ambiance confortable. Mon esprit se
baladait de souvenir en souvenir, et ma vie m'apparaissait comme un rêve.
Je n'avais jamais hésité, acceptant mes actes avec l'ardeur
de mes convictions. Parfois, mes réactions n'étaient pas en
accord avec mes pensées, pourtant, je ne m'étais jamais vraiment
demandé d'où pouvait venir ces étranges élans.
-
la force
Je la regardai d'un air neutre.
-Mon frère pensait aussi que la force pouvait faire bouger les choses.
-Ton frère ? Voila quelques temps que tu n'as pas parlé de lui.
Je souris d'un air narquois. Elle fronça les sourcils.
-Je sais qu'au fond de vous-même, vous n'êtes pas mauvais.
-Tiens, je ne suis plus un monstre ?
-Les humains sont des monstres
Vous, vous êtes comme lui, vous
comprenez ses convictions.
Elle baissa le regard.
-Ecoute petite, je vais te dire pourquoi ton frère est mort. Pourquoi
il a crevé comme un chien.
Elle releva les yeux et me regarda d'un air choqué.
-La force brut ne peut rien faire. Le maître mot, c'est la stratégie.
Mais ton frère était trop stupide pour le comprendre. Et d'ailleurs,
je suis milles fois meilleur que lui, et en tout. Alors cesse les comparaisons
vexantes. Enfin, en ce qui concerne l'humanité, cela fait bien longtemps
que personne n'y croit plus. Tu ne fais que dire des choses que tout le monde
sait déjà. Chacun protège son morceau de viande et mords
le rival. Ce n'est qu'un ironique cirque, un zoo ; et cette prison en est
la plus flagrante représentation. Mais il ne faut pas se leurrer, en
moindre mesure, l'extérieur est identique. "
Je ne savais qu'elle était, par exemple, la raison qui me poussait
à parler autant. Peut-être pour son regard assuré que
je voulais briser.
" Seigneur Xant ! Seigneur Xant ! "
La voix de Tyrias résonnait à l'extérieur, amplifié
par la cavité étroite de notre espace vital. Il avait l'air
paniqué et m'appelait avec empressement. Je soupirai d'un air las.
Enelia s'affola et s'habilla rapidement. Je sortais, torse nu, le drap enroulé
comme une toge. Je jetai un coup d'il, restant sur le palier. Tyrias
était au milieu de notre caverne, quatre hommes l'entourant d'un air
menaçant. Six autres étaient immobiles à l'entrée
du tunnel, des armes luisantes à la main. J'haussais les sourcils d'un
air étonné et amusé.
" Qui vous envois ? dis-je d'une voix paisible.
Ils me regardèrent d'un air menaçant mais craintif. Ils connaissaient
ma réputation grandissante et ne voulaient pas encore mourir. L'un
d'eux s'avança tout de même, l'arme pointée vers moi.
J'haussai un sourcil, m'appuyant sur le mur droit du palier.
-Y a-t-il un problème, seigneur Xant ?
Cette voix, langoureuse et mielleuse, fit tressaillir nos attaquants. Deux
des hommes de l'entrée du tunnel s'écartèrent rapidement,
faisant place au visage glacé et aux cheveux blonds d'Anthanael. Sa
sur le suivait par petits pas, regardant les invités avec curiosité
et amusement. Le jeune homme avança sans même dédaigner
jeter un il autour de lui et se mis face à moi. Gêné
par les cliquetis des armes des quatre autres, immobiles, tenant toujours
en garde Tyrias, il tourna la tête lentement et leur jeta un regard
mauvais. Ils se reculèrent, blancs, comme effrayé par un mauvais
esprit. Je souris de la scène, jouissant du spectacle et reculé
de la pièce du haut de mon panthéon.
-Que se passe-t-il, Anthanael, Zoria ?
Elle sourit et hocha lentement la tête. Le frère se retourna
vers moi.
- Plusieurs hommes sont en chemin pour détruire ce quartier. Une bataille
fait déjà rage dans la partie Ouest des souterrains.
Je ris franchement au son de ses paroles.
-Eux ?
Je pointais du doigt les soldats tremblotants. Il répondit par un sourire
carnassier.
-Oui. Mais je parlerais plutôt d' hors d'uvres. "
Il se lécha les lèvres avec appétit. Chacune de ses paroles,
comme toujours, étaient calmes et posées, agencées dans
la phrase en une musique qui se voulait sombre et imposante. J'hochais la
tête d'un air approbateur et rentra de nouveaux dans le bâtiment,
les laissant d'un air désintéressé.
" Non seigneur Xant !
Je souris en entendant cette dernière supplique et me retournai vers
l'homme.
-Nous avons été envoyé par notre chef. Il voudrait vous
rencontrer afin de pouvoir discuter. Nous ne sommes que des messagers
Le mensonge était un peu gros, mais je fis signe de le croire.
-Parles-tu de celui qui gouverne maintenant deux des clans ?
-Ne suis-je pas en train de parler au véritable maître du troisième
?
J'esquissai un sourire, amusé par sa perspicacité.
-Peut-être, je ne suis finalement qu'en vacances, ici. Vos petites querelles
ne m'intéressent guère.
-Il vous propose une rencontre dans ses quartiers, dans deux jours.
-Et bien
Je tendis la main vers l'intérieur, attrapant mon épée
posée sur la table. Je regardais Tyrias en hochant la tête. Il
ma fit signe du regard et se tourna vers les jumeaux. Les hommes nous regardaient,
surpris, retenant leur souffle.
-
Nous allons envoyer notre réponse nous même
Ils firent de grands yeux et se mirent en garde, paniqués.
+++++++++++++++++++++
" Vous pensez qu'il y aura des représailles ? me
demanda Tyrias d'un air peu convaincu.
-Je ne pense pas. La tête de quelques hommes, même emballée
dans le plus beau papier, ne saurait qu'amuser un véritable chef. Il
nous attendra, et avec la ferme intention d'en finir. Ou sinon, je l'aurai
sous-estimé... ce qui serai dommage.
-Dommage ?
Il me regarda puis fit un petit sourire, hochant la tête.
-Vous savez, je me suis toujours battu pour enfin être libre, sortir
de cette prison. Mais je crois que pour moi, il n'y plus d'espoir. Je serai
toujours cet oiseau en cage.
Je relevais la tête vers lui, puis regardai le ciel grisâtre.
-Tyrias, tu te rendras dans les autres quartiers, récolter des informations.
Que nos hommes prennent les armes des forges et s'apprêtent à
dévaster les souterrains. Aucune pitié ne sera permise. Réunis-les
demain dans la grande salle nord.
-Celle qui sert aux grands rassemblements ?
J'hochai la tête.
-Sois discret, que personne de néfaste ne puisse être au courant.
-Bien, seigneur !
Il semblait ravi, comme attitré d'une grande et haute mission. Il se
releva rapidement et partit en courant.
Chapitre 6
Traîtrise
Il y a beaucoup de représentation de la Mort. Monstrueuse, macabre, morbide, maladive ; pesante ou tendue, généreuse ou mystérieuse, et beaucoup d'hommes la détestent, la vénèrent, parfois même les deux en même temps. Faucheuse impitoyable, toute vêtue de noir, inspirant haine et effroi ; squelette décharné à l'allure détachée ou vieillard grisonnant attrapant d'une main l'implacable sablier et de l'autre pointant son doigt accusateur. Non, je n'inspire à rien de tout cela. Ma mort sera grandiose, identique à ma vie acharnée. Belle à la désirer, belle à la posséder toute entière et ne plus la quitter. Je la sais qui me surveille, souriant de ses lèvres vermeilles à chacun de mes faux pas. Elle attend, elle s'ennuie et passe le temps en jouant avec l'oiseau noir qui l'accompagne. Ses long cheveux d'ébène caressent ses joues laiteuses, et elle rit de joie en s'imaginant que cela puissent être mes mains, mes lèvres. Son corps parfait frémit à chacune de mes nuits d'ivresses et elle observe avec régale chacun de mes gestes. Elle espère bientôt pouvoir me serrer dans ses bras glacés et amoureux, mais malheureusement pour elle, elle va devoir encore attendre longtemps.
Tyrias avait, dès mon ordre donné, réussis
à réunir une centaine d'hommes, pillant les forges et fabriquant
des armes comme ils le pouvaient. Pourtant seulement une journée, heure
pour heure, s'était écoulée. Rien n'avait sut troubler
les préparations, et le clan ennemi était resté muet
à nos présents. Je me dirigeais rapidement vers la grande salle,
afin de transmettre mes ordres directement à cette poignée d'élu.
Avant même d'entrer dans la salle, je savais déjà que
quelque chose se passait. Ou plutôt ne se passait pas. Alors que cette
grande caverne, formée par de hautes voûtes naturelles, était
une place de choix pour se faire entendre de tous, rien ne venait à
mes oreilles. Pas un rire, pas un éclat, pas une moquerie. Pas un seul
homme élevant un tant soit peu la voix. J'entrai dans l'immense pièce
et ne pus que contempler un triste spectacle. Une bataille avait eu lieu,
et ma faction avait sans conteste perdu. Des hommes regardaient fixement l'immensité,
l'arme à la main. Je fis quelques pas, évitant les cadavres,
fouillant l'endroit du regard. Je me dépêchais vers ce que j'avais
enfin trouvé. Il était étendu, coincé sous plusieurs
corps, barré d'une large blessure au niveau du ventre. Un filet de
sang s'égouttait au coin de ses lèvres et maquillait son visage
d'un funeste écarlate.
" Tyrias
Ma voix était sortie de ma gorge d'une froide neutralité. Pourtant,
au fond de moi, je commençais déjà à déplorer
une mort inutile. Il releva la tête dans de grands efforts pour me regarder
et esquissa un sourire douloureux.
-Je suis désolé, seigneur. Ils étaient trop nombreux
-Tais toi.
J'essayai de le dégager du tas de morts qui le recouvrait.
-Non
Ce n'est pas important, Xant.
Je le regardai, m'immobilisant.
-Nous
nous avons été trahis. Personne ne pouvait savoir
Il toussa, crachant du sang en gémissant, et dirigea ses yeux vers
un ciel imaginaire. Une larme coula sur sa joue.
-Vais-je enfin être libre, seigneur ?
Je le regardai puis un petit sourire se dessina au coin de mes lèvres.
-Tu as toujours été un grand rêveur, Tyrias.
Il tourna les yeux vers moi et sourit.
-Vous êtes le plus grand, seigneur Xant
Vous savez, je n'ai jamais
eu peur de la mort. Mais maintenant que je la distingue, j'ai vraiment
la trouille
Une autre larme tomba de sa joue. Son regard s'emplit de détresse.
-J'ai très peur
murmura-t-il.
Il m'attrapa brusquement le bras, se recroquevillant de douleur. Son râle
raisonna dans toute la pièce. Je le regardai fixement, muet.
-Laissez-le nous, seigneur Xant.
Je me retournais et je vis les jumeaux. Ils étaient debout, la sur
blottie dans les bras de son frère. Ce dernier avait réussir
à parvenir jusqu'au centre de la caverne sans même tâcher
son habit. Anthanael avait un sourire mauvais et sadique, mais pourtant presque
imperceptible. Zoria me regardait du coin des yeux d'un air profondément
triste.
-Laissez-le nous
murmura Zoria, répétant les même
paroles que sont frère.
Je ne répondis pas, retournant mon regard vers le visage souffrant
du jeune garçon. Sans attendre plus longtemps, ils commencèrent
à l'attraper et le tirèrent. Ils ne se prenaient pas la peine
de le soulever, mais ils le traînaient juste par terre, laissant une
trace sanglante sur le sol.
-Non
" murmura Tyrias.
Il me tendit la main, les yeux brillant et voilés. Pourtant, je le
laissais s'écarter, avec la mauvaise sensation de voir une proie se
faire traîner dans l'antre d'une bête affamée. Les yeux
des jumeaux étaient étranges, comme illuminés d'une joie
fiévreuse. La main de Tyrias retomba inerte sur le sol, ses yeux fermés,
sombrant dans le néant ; et ils disparurent dans l'ombre.
Je revis les jumeaux un peu plus tard, dans mon quartier. Nous
n'avons pas parlé de Tyrias, ni même abordé de près
ou de loin son sujet. J'étais moi-même assez pensif, réfléchissant
à un moyen de riposte. Alors que j'entendais les sanglots étouffés
d'Enelia, effondrée depuis la nouvelle de la perte du jeune homme,
j'essayai en vain de me concentrer sur une quelconque stratégie. Aucune
ne me venait à l'esprit. Je n'avais pas l'envie d'attendre assez de
temps pour reconstituer une nouvelle faction. Une idée me traversait
bien la tête depuis quelques temps, mais elle ne comportait ni ruse,
ni prudence. Jugeant de la force probable du chef adverse, j'étais
tenté d'aller directement le voir pour l'affronter et le tuer. Une
idée, ma foi, plutôt intéressante.
" Nous voulons vous accompagner. Nous avons des comptes à régler
avec ces deux clans.
Anthanael me fixa du regard.
-Pourquoi pas, soupirai-je. Plus on est de fou, plus on rit.
-Qui est fou ? " demanda Zoria avec curiosité, sortie de ses rêveries.
Je souris d'un air mauvais.
++++++++++++++++++++++
Les tunnels étaient déserts. Pas un son ne sortait
des vastes salles, comme si tous avaient choisis de sortir à l'air
libre cette soirée là. Je n'étais pas dupe et sentais
sur mon dos les regards, sentais l'odeur de transpiration de ceux qui nous
épiais. J'étais suivi par les jumeaux qui marchaient sans bruit.
Personne ne nous empêcha de progresser au cur même des quartiers
ennemis. Notre adversaire nous tendait une invitation et ouvrait grand sa
porte à notre arrivé. Je cherchais l'entré du tunnel
qui était censé nous emmener au cur de leurs fondations.
Je pénétrai la salle d'un pied alerte, jetant un coup d'il
autour de moi. Elle était simple mais très large, coupée
en deux par un morceau de tissue faisant office de tapis qui menait droit
vers un large fauteuil de pierre. Un homme y était assis. Il avait
le regard sûr, la tête fièrement relevé, le visage
souriant et le charisme que devait dégager tous les hommes pleins d'assurance.
Pourtant, sous ce masque fragile, je ne ressentais ni force, ni puissance.
Il n'avait rien d'extraordinaire, sinon la capacité à diriger
plus du trois-quarts des survivants de cette prison. Mais contrairement aux
grands monarques, la loi de la hiérarchie isgurdiane ne parle aucunement
d'héritage. Son trop grand orgueil risquait de le condamner à
mourir dans le silence, oublié de tous ses chiens.
" Je vous attendais
dit-il d'une voix impérieuse.
Il éleva la main d'un air précieux. Six autres personnes se
trouvaient dans la pièce, désigné pour sa protection
-Alors, pas besoin de perdre de temps dans les présentations, soupirai-je
en regardant autour de moi d'un air las. Je fus surpris de voir Enelia, attrapé
par plusieurs hommes, dans un coin de la pièce. Il se leva.
-Ho ! Aucune présentation ! Sinon de notre charmante invitée
ici présente. Vous la connaissez, je crois.
-Xant
!
Il l'attrapa brutalement et la frappa du revers de la main.
-Quelle hypocrite. Elle te vends et ensuite, demande ton aide. Tu devrais
faire plus attention à tes catins, cher Xant.
J'haussai un sourcil, surpris.
-Oui, c'est une traîtresse. Tu la veux quand même ?
-Xant ! Je te jure ! Je ne voulais pas
!
Je le regardai fixement.
-Si quelqu'un doit la punir, c'est bien moi. Donne-la, ou prend la. Elle sera
au paradis avec toi.
-Vraiment ?
Il sourit d'un air amusé.
-Je n'en veux pas, continua-t-il. Attrape !
La prenant par le bras, il la jeta violement vers moi. Un homme à leurs
côtés tendit son épée et l'arrêta dans sa
course. Enelia fit de grands yeux , immobile, la douleur de la lame lui transperçant
le corps. Elle s'écroula et roula jusqu'à mes pieds. Je la regardai,
puis releva la tête, énervé.
-Tu as signé ton arrêt de mort.
-Tu as raison, cela fait trop longtemps que tu me déranges. Il est
temps d'en finir.
Il leva la main en souriant. J'entendis un bourdonnement et, venant de deux
tunnels à l'arrière, plusieurs hommes s'amassèrent dans
la salle. Ils étaient plusieurs dizaines, nombreuses petites abeilles
qui me regardais d'un air assassin. J'éclatai de rire, fortement amusé.
-Crois-tu qu'ils vont m'arrêter ? Des dizaines, une centaine même
?!
Je me cachai le visage d'une main, pris d'un fou rire. Je me calmai d'un coup
et regardai le pauvre idiot sur son trône d'un air mauvais.
-Vas-y, envoi ! "
Tous se dirigèrent vers moi, se ruèrent pour me tuer le premier.
Un bruit de cri retentit. Je souris d'un air amusé. Les quelques hommes
que j'avais rapidement réussis à rassembler étaient rentrés
bruyamment, les armes cliquetantes, les injures aux lèvres. Tous furent
surpris, et n'eurent le temps de protéger leur flanc. Le combat s'équilibrait,
et j'étais content qu'ils aient réussis à se faufiler
jusqu'ici sans se faire remarquer. Le combat battait son plein. Les hommes
ne cessaient de venir en tout sens. Les armes fusaient, prêtent à
déchiqueter leur voisin, et les hommes essayaient de se retrouver dans
cette mêlée sanglante. Alors que je me démenais avec une
certaine facilité, je vis à travers la bataille les jumeaux.
Zoria était tâchée de sang, déchiquetant sauvagement
de ses ongles étonnements longs le visage et le torse de ses adversaires.
Elle s'acharnait sur eux avec démence, passait de victime en victime
avec ardeur et passion. Un cercle vide se formait autour d'elle, personne
ne voulant trop s'y approcher. Anthanael, lui, ne bougeait pas et regardais
autour de lui, semblant réfléchir. Etrangement, personne ne
l'attaquait, comme s'il était entièrement étranger à
la scène. Il leva le bras et sembla se concentrer. Un cri d'horreur
retentit. Je regardai autour de moi. Une pluie de plume descendait du plafond.
Elles étaient d'un blanc éclatant, d'une beauté irréel.
Beaucoup d'hommes tombèrent, touchés par l'une d'elles. Plusieurs
entailles apparaissaient sur leur corps et ils mourraient en hurlant, perdant
leur sang à une vitesse exceptionnelle.
La bataille se termina assez rapidement. Je regardai l'homme
qui s'était rassis sur son fauteuil, blanc comme un spectre. Je m'approchais
de lui, la lame tendue vers le cur.
" Meurt dignement, ou meurt comme un lâche. " lui dis-je en
élevant la voix.
Il se leva et sortit son arme. C'était une épée d'une
grande beauté.
Epilogue
" Tu as changé, Xant. "
Zoria
Je m'approchais du corps inerte d'Enelia et soupira. Ses yeux étaient grand ouverts, vides d'expression. Peut être avait-elle vu son cher frère dans la mort ? Est-ce que cela importait vraiment de savoir ou non si elle avait des remords ? Je lui fermai les yeux, regrettant de n'avoir pu entendre sa version des faits. D'un pas nonchalant, je me dirigeais vers le trône et m'assis. Il me convenait tout à fait, et me semblait même confortable. Alors, la pièce, les sous-terrains tout entiers retentirent de mon rire satisfait.
Plusieurs années passèrent en une suite de petits plaisirs et de combats incessants. Au sommet de la cité, je régnais en maître à la tête de tous les clans. Mais chaque bonne chose a une fin. Quand la date limite de ma réclusion approchait, je me sentis impatient. Impatient de mettre à profit mon savoir-faire sur le reste du monde entier. Impatient de terminer ce que j'avais commencé. Le dernier jour, j'attendais devant la grande porte de la sortie, fixant les tourelles de ma belle cité. Tyrias les fixaient lui aussi, pensif. Il est vrai, je n'avais pas parlé de lui ! Tyrias avait été sauvé par les jumeaux et, quelques mois plus tard, je l'avais vu se présenter devant moi. Je ne comprenais pas pourquoi ils ne m'avaient pas prévenu plus tôt, mais je ne m'étais pas penché sur ce petit détail. Il avait désormais une belle cicatrice, mais se portait très bien, et était devenu encore plus vif, pour mon grand malheur. Le frère et la sur, exceptionnellement en dehors de leurs souterrains, nous regardaient calmement en se serrant l'un contre l'autre. Je me remémorai la dernière nuit en ces lieux, à la fois étrange et brûlante, Zoria dans mes bras. Elle me sourit avec malice. La porte s'ouvrit en grinçant et Tyrias s'avança, impatient. Il partit le premier. Une fois mon tour arrivé, j'entendis plusieurs acclamations fusant en tous sens à travers la cité. Sans regrets, sans adieux, je tournai le dos à Isgurdian.
" J'ai beaucoup appris en ces murs. "
Xant