Imaginaire

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La jeune femme, perdu dans ses couleurs, regardait la toile granulée d’un air triste. Elle saigna la surface blanche d’un trait agacé, désespérée.
« Mais quand donc me reviendra mon inspiration, ce feu divin qui m’emportait et esquissait mon âme sur la feuille ? »
Et elle dessina, dessina encore, jusqu’à ne plus manger, jusqu’à ne plus dormir. Son pinceau dépéri tombait de fatigue, ses tubes devinrent rapidement vides. Mais elle continua, encore et encore, à faire des arabesques invisibles. Là elle y mettait une ombre, ici une aile fragile ; elle fermait ses yeux rouge et voyait ses larmes se transformer en pétales brillantes, tombant sur un sol de braise. L’esprit prenait vie lentement. Un regard, d’abord, sombre et brûlant, puis des lèvres vermeilles, une peau délicate. Et deux grandes ailes diaphanes, vaporeuses comme la neige.
La silhouette frémissante ouvrit ses yeux d’onyx sanglant en grand, esquissa un sourire malicieux et commença à courir à travers le ténébreux décor de la page. Elle s’immobilisa soudainement, tendit une main hésitante pour s’échapper de sa prison. Ses doigts griffus et graciles sortirent de la toile, et la peinture prit un air satisfait. Elle baissa la tête et admira l’artiste à genoux, accroché à la vie comme à son chevalet.
« Douce mère, vous m’avez donné votre vie, je vous remercie. Il ne sert à rien de me répondre, je vous ai pris aussi votre voix »
La jeune artiste releva son visage ravagé, ouvrit la bouche mais aucun son ne sortit, comme l’avait dit la fée. Celle-ci se pencha encore pour sortir son buste vers le monde réel, et elle posa doucement une main sur la joue de la femme.
« Voilà votre vœux exaucé. Voici votre âme dessinée, votre vie insignifiante m’a été transmise. Je vous regretterais, mère, mais vous pouvez désormais partir sans regret. »
La peintre lui jeta un regard suppliant, se raccrocha au bras de son œuvre en poussant un gémissement. La sombre fée s’écarta, laissant la jeune femme s’écrouler sur le sol, étouffant dans son dernier mirage.

Je te vois ma chère amie, qui a donné jusqu’à ton dernier souffle, qui a empoigné ton cœur et l’a serré pour en sortir jusqu’à la dernière goutte. Te voila, gisant sur le plancher, triomphée par ton art trop exigeant. Je chérirai ton enfant comme je t’ai chéri, et à mon tour je mourrai blessée par ma plume.