Clair Obscur

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Le ciel se mélangeait d’encre et d’ombre, dessinant de maladifs nuages noirs. Seul le vent encore donnait signe de vie dans cette plaine dévastée. La jeune femme s’accroupi en soupirant, fixant l’astre mort au creux des ténèbres. Puis, résignée, elle fouilla l’horizon cendré, ses yeux vifs et brillants d’inquiétude. Du haut de la falaise, elle avait une vue imprenable, mais pourtant rien ne perturbait la platitude de ce pays clair-obscur et torturé.
« Je ne vois pas pourquoi tu t’agites tant…
Le grand félin s’étira d’un air ennuyé et se releva en grognant. Il secoua sa grosse tête, ses longues oreilles s’ébattant joyeusement contre ses tempes.
-Le jour aurait dut se lever depuis bien longtemps. Qu’est-ce qui pourrait arriver de pire ?
La jeune fille plongea sa main au fond de sa poche et extirpa délicatement une poignée de poussière lumineuse. La panthère regarda attentivement le précieux mélange et le renifla. Brusquement, elle recula en toussant à grands éclats.
-Les humains polluent mon atmosphère, grogna-t-elle. Elle toussota encore quelques fois, se secoua, prise d’une crise d’allergie, des larmes illuminant ses mystérieux yeux d’agate. Elle se frotta de sa patte le museau, puis reprit.
-Et je ne vois pas pourquoi tu te plaints, ce n’est pas si mal, une nuit éternelle (elle renifla). Il y a plein d’avantage, regardes. Par exemple, tu n’es jamais ébloui, ce qui je suis sûr préserve bien les yeux. Imagine-toi avec des lunettes un peu. Tu serais ridicule…
La panthère pouffa d’un petit rire félin. La jeune fille répliqua en haussant les épaules.
-Qu’importe, j’en ai déjà pour me protéger du sable. »
Elle se tut, concentrée, prit une pincée du petit tas et la lâcha dans les airs. Rapidement, une onde de lumière se dessina, et les multiples paillettes s’affolèrent, s’ébrouèrent en multiples arcades, emportées par la brise. Le félin écarquilla les yeux et tendit son cou musclé, claqua des machoirs ; puis il s’assit d’un air songeur, bredouille. C’était un magnifique animal à la robe lugubre barrée de blafardes rayures, aux pattes puissantes. La terre s’écorchait de ses griffes à chacun de ses pas, et il se balançait avec langueur de droite à gauche.
« Ne prend pas un air si grave, se moqua la femme. Regarde par le vide au moins si j’ai une réponse.
Le félin poussa un léger grognement en s’exécutant, et lança son regard perçant au-delà de l’obscurité. Le vent jouait avec ses poils d’onyx, lui laissant une sensation désagréable. Il remua sa queue, serpent épais et langoureux, d’un air mécontent.
-Je ne vois pas ce qu’il y a de si terrible si le soleil ne se lève pas.
-C’est simple pour toi de dire ça, tu vois dans le noir sans aucune difficulté.
La panthère ricana en suivant du regard une dernière paillette retardataire.
-Oui, et j’y vois bien mieux que le jour. C’est normal après tout qu’on se batte pour notre confort…
-Ce que vous pouvez être égoïste, vous autres, enfants de la nuit…
-Ne parle pas comme ça de nous !
La panthère s’hérissa, sa voix mêlée de grondements.
-Quoi ? répondit la jeune fille, fixant le lointain en fronçant les sourcils. Nous sommes ennemis de toute façon. On peut se battre tout de suite si tu veux…
-…Non. La panthère s’allongea par terre, désintéressée, se léchant attentivement la patte. Peut-être un peu plus tard…
La jeune fille s’agenouilla, puis ria doucement.
-Quoi encore ? Grogna la panthère.
-Tu t’appelles Shar, c’est ça ?
-Et bien oui… Elle hocha les épaules d’un air ennuyé.
-Shar, enfant de Shaar. Elle a pas bien cherché loin, ta mère! C’est un peu comme si tu t’appelais Junior…
Le félin grogna.
-Si jamais tu oses dire que je suis une panthère junior, je te démembre sur le champ !
La jeune femme éclata d’un rire clair et franc.
-Et d’abord, ça s’écrit pas pareil, continua-t-il en grondant.
Il se tut en regardant ailleurs, vexé. Le silence s’installa, laissant à loisir le souffle du vent chanter sa mélancolique mélodie à travers les rochers. Au loin, le hurlement d’une bête lui fit écho, mêlant sa plainte à la sienne.
-Alors, tu n’as pas vu de réponse ? reprit la jeune fille.
-Non, répondit Shar en boudant.
La femme releva la tête vers le ciel de jais.
-Peut-être que c’est l’heure de la Grande Bataille…
Elle fixa d’un air interrogateur le félin allongé nonchalamment. Il s’immobilisa, la gueule entrouverte, et la perça de son regard. Un profond malaise s’installa.
-Il est quelle heure ? demanda la panthère.
-9h24. Le matin aurait dut venir depuis bien longtemps.
Shar soupira.
-Il faudra bien y passer de toute façon.
Elle se redressa avec une difficulté oisive.
-Quoi, on y va maintenant ? s’étonna la jeune fille.
- Non, non, je me lève juste. Il n’y a pas un chat de toute façon.
La femme pouffa de rire.
-J’en vois un gros moi…
La panthère la regarda, un sourcil relevé d’un air incrédule, puis haussa ses babines en un sourire extatique.
-Non, sérieusement, on commencera quand on aura vu d’autres se battrent. Sinon, ça sert à rien.
L’humaine resta muette et se mordit la lèvre.
-Je te parie qu’on va gagner, reprit-elle.
Shar releva la tête pour mieux la voir.
-On fait un pari ? Rien qu’à nous voir tout deux, il n’est pas difficile de deviner qui va égorger l’autre.
La jeune fille regarda le sol, puis jeta un coup d’œil vers l’astre voilé, ses mèches sanglantes claquant sur la poudre de ses joues.
-En es-tu vraiment sûr ?
Elle passa sa langue sur ses lèvres, la respiration coupée. Déjà son sang bouillait, et son âme empoignée d’une fièvre sauvage et guerrière ruminait dans le coin de sa tête. La panthère la dévisagea, puis se rallongea.
-Rien ne sert de se presser.
-Tu crois que le soleil va se lever ?
Silence.
-Tu espère que non, n’est-ce pas… ?
-On pourrait une bonne fois pour toute en finir.
-Tu crois vraiment ?
La panthère la contempla d’un air interrogateur.
-Tes amis ne vont pas tarder, non ? continua l’animal.
-Je ne sais pas. S’ils sont encore en vie…
Shar s’immobilisa et leva le museau en reniflant.
-Il y a encore comme une odeur de sang. Elle doit venir du village le plus proche.
La jeune femme fronça les sourcils, les poings serrés.
-Alors, ça a commencé.
Elle se leva rapidement en fixant le grand félin.
-Tu veux faire comme eux ?
La panthère frémit.
-On y passera tous de toute façon, c’est toi qui l’as dit.
Shar grogna d’un air mécontent, montrant ses longues canines d’albâtres
Rien ne peut plus nous arrêter.
Elle se leva brusquement à son tour et se tassa sur elle-même, prête à bondir. Son long feulement raisonna dans la nuit. La jeune femme recula et se campa assurément sur jambes frêles. La boucherie fratricide allait enfin commencer.
-Attend !
Shar quitta son air menaçant et lança un regard derrière l’épaule de son ennemie.
-Regarde.
L’humaine fronça les sourcils, puis se retourna. Ses yeux, éblouis par l’éclat naissant du soleil retrouvé, pleurèrent de douleur. Petit à petit, l’ombre nocturne fuyait les rayons mornes qui rampaient à travers les touffes d’herbes brûlés. Le jour avait repris le dessus.
La panthère soupira et s’assit, admirant le ciel se colorer, le temps se dégeler de sa torpeur frénétique.
-Non, ce n’est pas encore pour maintenant.
La jeune femme haussa les épaules.
-Bien. »
Ils se lancèrent tout deux un regard, silencieux et déçus.


Jamais nous ne pourrons fuir notre destin
Enfants d’Eternia, enfants de Shaar, éternels ennemis
On se battra tous
On y passera tous
Dans l’antre de l’Eternel Nuit.