La Princesse aux papillons
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Il était une fois, au fin fond d'une ville
grisâtre, une bâtisse de nacre et de vermeil, entourée d'un
jardin d'émeraude aux nombreuses fontaines. A chaque crépuscule,
le jour mourant jetait ses derniers feux sur cette merveille, enluminant une
dernière fois ce paradis. Il savait comment s'y prendre pour faire miroiter
les ailes bleutées d'une myriade de papillons, qui à la même
heure s'envolaient, comme pris d'un élan de liberté. Le soleil
ne voulait pas encore partir, jaloux de la lune de pouvoir admirer l'un des
plus charmants spectacles, mais il devait s'y résigner, jetant quelques
faibles rayons s'accrochant tant bien que mal aux éclats d'eau, aux reflets
verdoyants des plantes. Alors, elle rentre en scène, comme une délicate
danseuse de ces boîtes à musique si fragile. La pointe de son petit
pied s'appuie sur la première pierre du chemin, puis la deuxième,
en un rythme dansant et mélodique. C'est une petite fille d'à
peine six ans, aux boucles d'or, aux grands yeux bleus pétillant de vie,
adorable comme la poupée de porcelaine qu'elle serre sur son cur.
Elle tourne sur elle-même, encore, encore et encore, riant à grands
éclats, jouant avec l'essaim de papillons qui semble danser avec elle,
au bruit des chants des fontaines joyeuses. Elle s'arrête devant une des
statues déversant sans relâche l'eau de leur urne, mettant fièrement
la main sur son étroite hanche, se donnant un air important.
" Savez-vous, madame ? Je suis la princesse aux papillons ! Vous devriez
me saluer quand je passe devant vous !
A la statue de répliquer :
-Allons, petite demoiselle, pour être princesse, il faudrait bien moins
d'épouser un prince ! Et puis, même si c'était le cas, moi
qui déverse l'eau de ma tâche, je ne pourrais jamais tant me remuer
"
La fillette s'attrista sur le sort de l'ondine, puis fit la moue.
-Ainsi, je ne peux pas être princesse même si tout le monde me le
dit ?
Elle mit ses mains, si fines et si blanches, devant ses yeux, et trépigna.
-Je veux un prince ! Je veux un prince ! Je veux un prince beau comme le ciel
!
Alors, avant même qu'elle puisse les rouvrir, une odeur sucrée
d'épices et de lys lui chatouilla le nez. Un hennissement la fit sursauter,
et elle se retourna rapidement. Il était devant elle, montant son fier
alezan avec grâce et élégance. Son regard, plus profond
et plus lumineux que le soleil, était doux, ses lèvres souriaient
avec tendresse.
" Êtes-vous donc le prince que j'attends ? Si c'est le cas, je bâtirai
pour vous un magnifique trône de fleurs blanches, je vous ferai un collier
d'étoiles, et même, je pourrai bien vous donner ma poupée
! Mais, s'il vous plait, mariez-vous avec moi
Il descendit lentement de son superbe cheval, et lui caressa doucement sa joue.
-Petite princesse de solitude, vous qui savez créer juste par la parole,
je ne pourrais pas encore rester avec vous.
-Ho non ! Reste avec moi ! Je t'en prie
Joue avec moi !
Ses yeux s'humidifièrent, laissant quelques paillettes humides sur sa
joue.
-Bien, alors je jouerais avec vous, ma jolie demoiselle. "
Il la prit par le bout des doigts, et la fit tourner.
Puis, à son grand étonnement, il la serra contre lui et l'emporta
dans une valse merveilleuse, l'amenant comme au milieu d'un rêve.
Plusieurs heures passèrent, mais elle ne savait plus trop combien. La
nuit était tombée, et la lune la regardait en souriant. Le prince
s'approcha d'elle, lui déposant un doux baiser sur son front, puis la
regarda tristement.
" Il est temps pour moi d'y aller, ma jolie demoiselle. Mais avant que
je ne disparaisse, sachez que si jamais vous vous sentez malheureuse, pensez
très fort à moi et je viendrais vous enlever dans mon monde. "
Alors, il remonta sur son blanc destrier, et ils disparurent, laissant un nuage
de papillons bleus s'envoler vers le ciel.
Le ciel gronde, déversant des larmes sanglantes
sur le sol boueux. Des cris retentissent de toutes parts, couvert parfois par
les sifflements des bombes. Le bruit des armes, les râles des mourants
qui rampent aux milieux des cadavres, la senteur acre de la poudre, de la mort
et de la pourriture règnent en ces lieux. Au milieu des ruines, dans
un immeuble éventré, cachée derrière un mur macabre,
gémit une petite fille. Elle serre contre elle sa poupée de porcelaine
brisée, ses boucles brunes de poussières, ses grands yeux rouges
et fatigués. Ses joues sont sales à force d'avoir pleurer, et
elle regarde encore d'un air hagard le corps de ses parents transpercés
devant elle. Sa poitrine est barrée par une marque sanglante et douloureuse.
Encore un sifflement au dessus de sa tête. Elle se boucha les oreilles
et sanglota. Délivrée par son étreinte, la petite poupée
tomba et fini par ne plus ressembler à rien.
" Au secours ! J'ai mal ! Mon prince, je vous en prie ! "
Elle s'écroula à son tour, regardant le plafond s'effriter, la
bouche entrouverte, épuisée. Quand alors quelque chose attira
son regard. Dans le ciel gris, petite tache de couleur, un papillon bleuté
s'ébattait dans les enfers, voletant vers elle. Doucement, il se posa
sur le nez de la fillette, qui le regarda ébahie. En une lumière
éblouissante, l'élégant insecte pris forme humaine à
ses pieds. Le prince était devant elle, avec son regard tendre et tellement
triste.
" Petite princesse, venez dans mon pays, là où jamais plus
vous ne souffrirez, demeurez avec moi et vivons heureux "
Elle n'avait plus la force de répondre, mais elle tendit sa main si fine,
fragile comme un mirage. Alors, il se pencha sur elle et la serra dans ses bras.
Et la petite fille s'endormit profondément.